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Causerie

De mauvais bruits ont couru ces jours derniers sur la tour Eiffel. Des reporters alarmistes ont annoncé qu'elle oscillait sur sa base et que bientôt, peut-être, le colosse de fer s'abattrait sur le Champ-de- Mars.

Les Parisiens en ont eu d'abord une belle venelle, surtout ceux qui habitent dans un rayon de trois cents mètres autour du monument. Recevoir sur le dos ce joujou pesant plusieurs millions de kilogrammes, cela doit, être plus dangereux encore qu'une crise d'influenza. Heureusement, ce n'était qu'une fausse alerte. On a été bien vite rassuré sur le compte de la prétendue malade, qui n'a jamais été plus droite et plus solide. M. Eiffel, auquel on est venu de tous côtés chanter le refrain connu La tour prends garde De te laisser abattre. a prouvé mathématiquement que sa tour n'avait pas le moindre cor aux pieds et que rien —pas même les potins des journaux — ne prévaudrait contre elle.

Nous en sommes ravis pour notre part. La tour de trois cents mètres, avec son élancement audacieux vers le ciel, avec sa màture de fer prodigieusement enchevêtrée, a conquis un droit de cité définitif dans l'horizon parisien. C'est une impressionnante manifestation de l'esthétique moderne, d'un beau nouveau, qu'on a appelé très justement le beau de l'ingénieur. Et puis, quels souvenirs groupés autour de ce géant de metal, qui fut le clou de la prestigieuse exposition de 1889 !

L'admiration des nombreux visiteurs qui en ont fait l'escalade, s'est traduite par des inscriptions, dont quelques-unes ont été enregistrées. Celle-ci, notamment, remarquable par l'énormité du calembour : « On peut appeler l'oeuvre de M.Eiffel, tour de force. C'est en fer et paradis en même temps » : et cette autre bien méridionale : « Parisiens, du haut de cette tour, trois Marseillais vous contemplent ! »

Que les auteurs de ces pensées géniales se rassurent donc sur le sort du monument qui porte leur prose : la « Tour de France » n'est pas encore à la veille de se laisser choir...

C’était dimanche l'ouverture delà chasse, et cette solennité cynégétique fournit chaque année un thème inépuisable aux chroniqueurs. Comme le piano, le vélocipède et les belles-mères, le chasseur est, pour le journaliste à court de copie, un sujet sur lequel il trouve toujours à broder quelques variations plaisantes.

C'est qu'en effet rien n'est plus comique que ce bon bourgeois qui se lève avant l'aurore pour se livrer aux marches forcées les plus pénibles, carnier aux reins et fusil sur l'épaule, à la recherche d'un gibier improbable et introuvable. Il s'éreinte dans les guérets, s'embourbe dans les marais, s'écorche aux ronces des buissons ; il est tantôt rôti par le soleil et mouillé jusqu'aux os ; les paysans le houspillent ; les aubergistes le dépouillent ; et quand il rentre le soir, harassé et bredouille, le porte-monnaie et la carnassière vides, sa femme l'accueille avec un sourire moqueur, fort peu rassurant pour sa sécurité conjugale.

Tels sont, en notre fin de siècle, les plaisirs de la chasse.

Et cependant le nombre des amateurs va toujours croissant. Moins il y a de gibier plus il y a de chasseurs. Une caille se hasarde-t-elle dans la plaine de Vénissieux, cent Nemrods armés des engins les plus perfectionnés se mettent immédiatement à ses trousses. Et si un lièvre montre la pointe de ses oreilles sur le plateau de Sathonay, c'est une véritable mobilisation.

Je ne sais plus quel humoriste a dit qu'un jour prochain viendrait, où celui qui pourrait se vanter d'avoir mangé de la vraie viande et bu du vrai vin serait une manière de phénomène. Il en est de même pour le chasseur : bientôt on se montrera avec curiosité l'homme heureux qui aura tué un lièvre ne venant point d'Allemagne par l'intermédiaire du marchand de comestibles, ou des perdreaux n'étant pas importés d'Afrique par le même fournisseur.

Quoi qu'il en soit, malgré les fatigues et les déceptions, le jour de l'ouverture est encore un grand jour pour des milliers de Français. Je n'ai pas oublié, pour ma part, combien profonde fut mon ivresse, quand pour la première fois, je fis parler la poudre de chasse, muni d'un permis régulier et d'un fusil neuf, récompense d'un baccalauréat heureusement enlevé. C'était, en ce temps-là, l'idéal désiré par tous les adolescents. On en rêvait la nuit, pendant ces dernières années de collège qui paraissent si longues... Aujourd'hui une bonne partie de la jeunesse veut déjà des plaisirs plus compliqués. Les décadents et les psychologues l'ont rendue trop souvent triste et gourmée, dédaigneuse des amusements naturels et sains.

Jeunes gens, soyez jeunes, ayez de l'entrain, du mouvement et de la gaîté. Criez, courez, chassez, même, bien que le gibier soit devenu un mythe. Autrement nous vous dirons, nous autres, les vieilles gens, en vous voyant trop pessimistes et trop rassis : Prêtez-nous vos vingt ans, si vous n'en faites rien !

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